LE POULET DE BRESSE
LE POULET DE BRESSE
Ou l’histoire qui m’a été contée par Bébert de
Belleroche Dans les années 1995
Les autres noms sont inventés bien entendu !
Faire les marchés est un art. Il faut être commerçant, disponible, se lever à l’aube, courir les routes par tous les temps et ce, cinquante-deux semaines par an ! Mais, outre le travail considérable, cela permet l’indépendance du statut, tel celui de Bébert, coquetier de son état.
Bébert , brun aux yeux bleus, casquette en avant, sévit “Quai Saint-Antoine” le long des quais de Saône à Lyon tous les mardis, jeudis, dimanches que Dieu fait. Le samedi, lors de ses dernières années de pratique, il installe son stand à “Belleroche“, quartier caladois du Beaujolais dans lequel il viendra finir ses jours.
A Lyon, son emplacement fait face à celui du poissonnier, lui qui déteste le poisson et son odeur, même en rêve ! La Mère Cottivet, une habituée, se permet de choisir ses oeufs, deux douzaines chaque semaine, mais le choix terminé, elle les cale dans un recoin. Puis elle traverse pour choisir ses maquereaux. Elle revient avec force monnaie, sous l’oeil rageur de Bébert :
“- M’sieur Bébert, j’vous paie les oeufs, ça vous f’fra d’la monnaie !”
Et la voilà qui étale ses pièces de vingt centimes, cernées par les écailles de poiscaille, pour arriver aux vingt quatre francs bien gluants !
Aujourd’hui, Bébert est vengé, grâce à un vent affriolant. Le père Cabillaud a mal vissé sa perruque. Son crin reflète une méchante couleur trop-noire-pas-catholique pour être naturelle. Manque de pot, sous l’attrait de cette petite bise bien de chez nous, Cabillaud se prend une baleine de l’auvent dans la distinguée chevelure. La baleine mange ainsi la perruque qui se défile dans les cieux, sous les éclats de rire de Bébert qui ne reverra jamais le Père Cabillaud, sûrement vexé pour la vie !
Mais Bébert a d’autres réjouissances :
“- Mais bien sûr Madame Chollet, je vous mets ce poulet, un beau poulet de cinq livres pour six personnes, votre fils, votre belle-fille, vos petits-enfants ! Allez, ce dimanche, avec une laitue et une bonne purée maison, c’est presque le menu de Noël. Et n’oubliez pas de vider le poulet !
- Oh, monsieur Bébert, vous me charriez ! Je sais bien qu’il est déjà tout prêt !”
Bébert se marre. Il adore son métier, mais faire des blagues est une seconde nature !
“- Allez, bon dimanche madame Chollet. Attendez, votre châle tombe, je vais vous aider !”
Et d’une belle tape dans le dos, Bébert colle discrètement l’étiquette bleu blanc rouge de quinze centimètres carrés, “véritable poulet de Bresse”, dans le dos de la mère Chollet !
“- Oh Bébert, crie Jules le boucher d’à côté, j’arrive dans un quart d’heure. Le whisky est au frais ?
- L’heure de l’apéro c’est sacré Jules, dès que je ferme, la bouteille est prête !
-Ah Madame Carmella , mais bien sûr , six oeufs et un beau poulet avec toutes ses dents, pour cinquante six Francs !
- Quoi, toutes ches dents ! Qu’est-che que vous dites, monchieur Bébert ? Dites Monchieur Bébert, votre femme est à la boulangerie, elle dischute avec Madame Chollet !
- Merci Madame Carmella, ma femme fait ce qu’elle veut ; excusez-moi de pas continuer cette intéressante conversation, mais j’ai du monde, alors bonne journée !”
Repasse la Mère Chollet, le Turf sous le bras :
“- Dites, monsieur Bébert, vous le voyez le “9” aujourd’hui ? Moi je vois bien le 9 et le 14 ?
- Mais bien sûr Madame Chollet, rajoutez le 23 ! Mais préparez-les pour demain, aujourd’hui y’a grève à l’hippodrome, le tiercé se court que demain, lisez le Progrès !
- Monsieur Bébert, y’a 15 partants ! Et puis, ah bon, y’a grève !
- Madame Chollet, s’exclame Alain, vous écoutez encore Bébert ! Y’a longtemps que je ne me fait plus avoir ! Bien sûr qu’y’a tiercé aujourd’hui !
- Oh, ce monsieur Bébert alors !
- Salut Bébert, j’arrive de bonne heure, tu vas fermer ? T’as vu je suis sympa, j’ai rien dit à la Mère Chollet et pourtant l’étiquette dans le dos, t’a fait fort ! Tout le monde rigole quand elle passe ! Elle va la garder toute la journée !”
Ainsi les jours s’égrènent entre deux marchés, les petites habitudes, les rituels, l’accent symbolique de la région avec ses “y” à tout propos, tout ce qui embellit un quotidien !
Bébert ferme la boutique.
Le samedi à Belleroche, le bar est juste en face du stand et il retrouve la fine équipe pour le sacro-saint apéro. La mère Chollet est une costaud, elle a gagné de nombreuses fois au tiercé et possède même un cheval dans le midi, drivé par Serge PELTIER, dit-elle ! Elle ne boit rien, mais aime bien faire la causette : une autre Mère Cottivet qui ne rate rien des dernières nouvelles du quartier.
Chaque table est un clan : celui de Bébert, celui de Jeannot, celui de Momo, celui d’Akin...! Monsieur Dédé vient boire son verre de blanc, seul dans son coin, le visage ravagé. Il n’a plus de travail depuis quatre ans et la misère se fait sentir dans le foyer. Bébert s’approche et lui tend un petit paquet :
- Salut Dédé, t’en reprends un ? Au fait, voilà ce que tu m’as commandé, comme convenu, tout est en ordre. A demain Dédé, ton verre arrive !
Personne n’y a prêté attention, tous ont fait semblant. Bébert a un coeur gros comme ça. Ils n’ont aucun rendez-vous le lendemain. Dans le paquet, que Dédé ouvrira mécaniquement chez lui, il y a un cadeau de Bébert : un beau poulet de Bresse, pour six personnes ! (histoire vraie, dite par les copains !"
Epilogue : Avec Bébert nous buvions le café le matin dans le bar de Fikri, puis de “Jo” à Belleroche, ou bien un pulco orange sans sucre à cause de son diabète ! Bébert m’avait conté son histoire, un peu chaque jour. Un matin j’ai apporté et lu cette nouvelle à l’assemblée et qui avait fait rire toute la bande. Quelques temps après, le bar est tombé en faillite. Bébert avait programmé deux jours pour faire un bilan de santé à l’hôpital de la ville. Il en est revenu, tout décousu, plus fatigué qu’avant, marre d’être enfermé. Nous avions convenu de changer de Q.G. et d’opter pour le “Kebab” qui nous reçu tout content de cette aubaine de clients sobres, en sus ! “Bébert, deux opérations en une semaine, c’est trop, normal que tu sois fatigué !....“ Ce fut notre dernière rencontre.
Le lendemain, alors qu’il arrivait au magasin Norma juste à côté du bar, une ambulance dut venir le récupérer. Le dimanche matin suivant, nous retrouva à évoquer notre copain au passé ! Alain et Ahmed l’avaient visité la veille, alors qu’il était déjà inconscient ! Comme ses blagues, son esprit d’à-propos et ses incessantes boutades vont nous manquer ! “....mais jamais ton trou dans l’eau ne va se refermer.....” !
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