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17 juin 2020 : le quartier, vous l'imaginez comment ?

      Je suis surprise de savoir que certains peuvent vivre sereinement dans leur maison confortable, sans aucun souci financier, sans presse, sans télé, étant donné que 8,2 % de la population est richissime ce qui fait des sommes astronomiques (nos fameuses économies de 55 milliards) pour un un tout petit nombre d'habitants !

Par contre, un autre grand nombre vit parfaitement à l'aise, même s'ils l'ont bien mérité par leurs activités passées, sans aucun souci pour ce qui se passe autour d'eux et peuvent bien se permettre eux aussi de se barricader dans leur confort personnel ! Un autre monde à nos yeux !

 

Et vous vous imaginez quoi de la vie du quartier ?

 

Dans mon appartement de quartier à cette heure-ci, c'est le grand silence, même si par les fenêtres de la cuisine et du salon, je peux voir quelques lumières d'autres insomiaques ! Le silence de ceux dont vous enviez constamment qu'ils touchent le RSA ou autres ressources du même style !

Savez-vous combien sont seuls chez eux, avec ces fameux 500 et quelques euros mensuels dont vous vous imaginez qu'ils représentent leur argent de poche, je ne vais pas vous faire le détail de ce qu'ils ont réellement pour bouffer vous vous en fichez royalement et vous ne me croiriez même pas drapés dans vos certitudes et votre manque d'empathie ?

Savez-vous quelles catastrophes de leur vie les a conduit à ne plus trouver de travail, ou à ne plus être en capacité de travailler, même en entendant le nombre impressionnant de chômeurs qu'il y aura à la rentrée prochaine, mais que, lovés dans votre confort, vous trouvez que c'est encore un prétexte pour les fainéants ?

Le matin, dans notre quartier, il y a ces trois petits bistrots qui accueillent ceux qui de toute manière, ne pourraient entrer dans un bar de la ville, car ici, les boissons sont à un euro, chez tous ! RSA ou petites retraites, ou rien du tout qui fait que l'on vit encore chez ses parents ou en famille, ce sont surtout des lieux de convivialité qui, s'ils n'existaient pas, feraient que les plus solitaires seraient encore plus seuls !

Devant la seule tasse de café de la matinée, devant un verre d'eau offert souvent par le patron, ils sont entre eux durant quelques heures, parce qu'il n'y a rien d'attirant chez eux et que personne ne les délogera de leur chaise s'ils stagnent ainsi pendant des heures !

Pas de voiture forcément, pas de vacances, pas de sorties, le seul plaisir du jour c'est ce café ou cette menthe à l'eau pris avec d'autres, pour discuter des petits chagrins ou petites joies de la vie, afin d'éviter des sujets qui fâchent et évoquer tout et n'importe quoi pour oublier le frigo vide !

Vous vous imaginez qu'il n'y a que quel type d'habitants dans ce quartier comme dans d'autres du même style, y compris le centre ville bétonné ? Il y a ceux qui, un peu moins fauchés, vont pouvoir payer la tournée du jour, qui ont toutes origines, tiens hier matin, nous étions six femmes bien gauloises, à la table des femmes contre la baie vitrée, parce qu'on peut voir tous ceux qui passent !

De bonne heure, il y a les hommes qui passent retrouver d'autres copains, discutent aussi avec nous, mais qui ont une retraite plus décente, et aiment se retrouver ici, entre gaulois, parce qu'ici c'est sympa même si le peu de blanc ou de rosé vendu est plutôt du genre tord boyau, il est à un prix quartier !

Il y a aussi ceux qui vont partir travailler et se retrouvent un moment le matin, isolés eux aussi ! Tellement de gens seuls, vous n'imaginez même pas, parmi ceux qui vivent ici depuis tellement d'années ! Certains ont eu la chance de travailler toute leur vie dans une époque où il y avait des usines, mais sont restés ici par habitude, pour les appartements vastes et la verdure ! Il y a aussi des jeunes paumés, désoeuvrés, hors du temps, qui viennent voir qui est là, un copain peut-être ?

La misère morale rôde en permanence, mais au moins, dans un quartier, on est entre nous et les échanges sont de toutes sortes ! « As-tu vu la mamie truc, est-ce qu'elle va mieux ? D'autres sont catastrophés parce qu'en raison du confinement, il n'y aura pas de journée à la mer, la seule de l'année, proposée par le comité de défense des locataires qui est à l'arrêt ! Et XY, est toujours malade et ne sort plus de chez elle ! Et croyez-vous que la rénovation du quartier va nous apporter quelque chose de bien, si on nous supprime nos petits bistrots, nous resterons confinés chez nous à vie ! Heureusement qu'il y a le boulanger dans le quartier, ça fait un peu de passage sur la place ! Le supermarché, on y va un peu, pas trop, les étiquettes ne sont pas écrites en français !

Sans compter les échanges de vêtements ou d'accessoires, ou les recettes de bons plans pour s'entraider parce que l'entraide fonctionne heureusement ! Il y a des promotions sur la lessive cette semaine à Leclerc ! Qui peut emmener qui lorsqu'il y a une urgence pour se rendre dans les lieux moins accessibles comme l'hôpital, ou faire une course de produits lourds, ou un rendez-vous de spécialistes...et il y a ceux qui, au comptoir, se proposent !

Une vie à part, de confinés permanents, dont le plaisir tient à peu de choses : vivre dans le même monde et parler le même langage ! Qui s'occupe de savoir si son voisin de table a des parents nés à Istanbul ou à Alger ou en Guyane ou à Grandris ?

Bien entendu on évoque la dernière voiture brûlée, les allées dégueulasses, les poubelles qui traînent et attirent les rats, les voisins bruyants, celui qui sort du « club méd » pour dire qu'il sort de taule, la came encore et toujours, mais c'est plus pour se donner des nouvelles, manière de discuter ! La vraie détresse c'est cette solitude et cette misère qui ne se dénonce pas !

Hélas les bistrots seront fermés en août ! Ceux qui se sont privés toute l'année et ne sont pas si nombreux, partent chacun retrouver leur famille et pas pour des vacances en or, souvent aussi un an sur deux ou trois  !

Il n'y a plus assez de clients pour justifier une ouverture ! On ne gagne pas sa vie dans ces bistrots, on survit tout au plus à ces tarifs-là, alors si les patrons peuvent retrouver leur famille en aôut avec leurs enfants, ils partent c'est logique !

Les enfants qui ne partent pas auront les centres de loisirs, pour profiter de vraies vacances même si elles ne sont pas des vacances familiales !

Ah oui, selon vous, lorsque les familles qui en bénéficient percevront la prime de rentrée scolaire, certains partiront quelques jours chez leur famille, cette sortie que vous enviez tant ! Les enfants ne manquent de rien, car les parents mettent un soin jaloux à ce qu'ils profitent de tout ce qui est nécessaire et même davantage ! On aime ses gosses dans ces quartiers, pendant qu'on peut profiter de ce que petits, ils vous causent nettement moins de soucis qu'en grandissant !

Forcément à l'adolescence et comme partout, les choses deviennent plus compliquées et avec le manque de moyens, cela ne facilite pas le quotidien, c 'est là qu'il nous faudrait des éducateurs, massivement !

En attendant, si le confinement a connu quelques faiblesses, on a eu bien de la chance que le bilan final soit plutôt positif ! Mais ici, ce n'est pas Marseille, ni Dijon même si rien n'est parfait !

Ceux qui ne partent jamais se retrouveront sur les bancs du quartier, sous les arbres, car heureusement il y a la verdure....ou les uns chez les autres...

 

Marie-France Balandras

 



17/06/2020
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